De nombreux grands-parents s’interrogent sur la façon dont leurs enfants élèvent leurs petits-enfants. Éducation trop permissive ou au contraire trop rigide : s’ils étaient à la place des parents, ils feraient tout autrement ! Pourtant, il est difficile d’aborder le sujet au risque de créer des tensions au sein de la famille. Comment surmonter les divergences liées à l’éducation des tout-petits ? Nos questions à Véronique Cayado, Docteure en psychologie, spécialiste du vieillissement.
Silver Alliance : Pourquoi l’éducation des petits-enfants est-elle une question si sensible ?
Véronique Cayado : Dans le cercle familial, comme dans le cercle amical, l’éducation est un sujet très clivant. On peut vite se sentir juger personnellement sur des approches éducatives différentes. Sans compter cette pression à la bonne parentalité qui fait peser sur les nouveaux parents des exigences de performance éducative. On peut avoir tellement peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur pour son enfant, que sans le vouloir on projette sur lui cette exigence et attendre de lui qu’il soit l’enfant parfait, celui qui marche le plus tôt, qui parle le plus tôt…
La manière d’éduquer nos enfants parle de nous. C’est pour cela que la question de l’éducation est si sensible : elle touche à l’intime. Pourtant, chacun fait comme il veut, et surtout comme il peut : il n’y a pas de recette miracle et infaillible partagée par tous.
Lorsque les grands-parents sont amenés à garder régulièrement leurs petits-enfants, ils sont tentés de mettre leur grain de sel dans l’éducation des plus jeunes. Est-ce une bonne chose ?
Cela dépend comment c’est fait. On a beau être parent, on reste l’enfant de son parent et celui-ci peut avoir du mal à laisser le terrain et à se mettre en retrait. Ou au contraire, l’enfant devenu adulte continue à mettre son père ou sa mère sur un piédestal. Il ne parvient pas à s’affirmer, voire à s’assumer face à eux avec des pratiques éducatives différentes de celles qu’il a lui-même reçues.
Un grand-parent qui donne des conseils aux jeunes parents, cela part souvent d’une bonne intention. Pour autant, même un conseil des plus avisés et utiles pourra déclencher des tensions importantes. En effet, ce n’est pas le contenu du message qui bloquera mais ce que cela renvoie comme sentiment de dévalorisation ou d’infériorité. « Tu devrais plutôt faire ça comme ça »: c’est le genre de petite phrase bienveillante et qui pour autant signifie à l’autre que l’on sait mieux que lui ce qu’il faut faire pour le bien de l’enfant. Alors quand ces conseils sont adressés par la belle-famille, cela peut être vécu de manière encore plus intrusive.
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Être parent, cela n’est pas inné. Cela s’apprend et se construit au fur et à mesure que l‘enfant grandit. Être grand-parent, c’est encore un autre rôle. On est souvent un grand-parent bien différent du parent que l’on a été. Un père très strict peut devenir un grand-père permissif, au grand dam des parents qui le trouveront peut-être même trop coulant. Dans certaines familles, les grands-parents sont considérés comme « laxistes » par les parents. Souvent très proches de leurs petits-enfants, leur envie de leur faire plaisir passe avant les règles parentales. Là encore, des tensions peuvent apparaître.
« C’était mieux avant », vraiment ?
Il faudrait déjà préciser de quel “avant” on parle. Les grands-parents d’aujourd’hui sont nés après-guerre. Ils ont eu leurs enfants après 68. Ils les ont élevés dans un contexte de consommation de masse, avec de la nourriture industrielle, la télévision… De plus en plus de mères travaillaient à l’extérieur. Les divorces étaient également plus fréquents. Bien sûr, les choses ont beaucoup changé, mais la rupture est peut-être moins forte qu’avec la génération précédente.
Aujourd’hui, ce qui peut être plus clivant, c’est l’omniprésence des écrans, jeux en ligne, réseaux sociaux, etc. Ces nouvelles technologies ont transformé le quotidien des enfants et adolescents, bien loin de ce qu’ont pu connaître leurs grands-parents. Certains regardent cela avec curiosité, d’autres avec plus de réserves et de craintes pour leurs petits-enfants.
Cela étant, ce décalage générationnel est bienvenu. Bien souvent les écrans sont moins tolérés par les grands-parents et lorsque ces derniers ont la garde de leurs petits-enfants, ils leur proposent un autre quotidien avec moins d’écrans. Ce sont des espaces temps précieux avec un rythme différent et une présence au monde différente.
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Comment surmonter les désaccords en matière d’éducation ?
Pour éviter que la situation ne dégénère, il convient de respecter une règle essentielle : les grands-parents ne doivent surtout pas contredire les décisions des parents en présence des enfants. Décrédibiliser les parents est le meilleur moyen de détériorer les relations familiales. C’est aussi encourager les enfants à s’engouffrer dans ces désaccords.
Le parent reste le référent en matière d’éducation de l’enfant, que ses choix plaisent ou non aux grands-parents (alimentation, port ou non de la tétine, religion…). Après cela, tout est une question de compromis. Il faut savoir être indulgent et permettre à chacun de trouver sa place dans le respect de son mode de vie. Aux parents, le droit de faire leurs propres expériences, et parfois leurs propres erreurs, car aucun parent n’est parfait. Aux grands-parents, le droit d’être eux et pas simplement le prolongement éducatif des parents.
Les enfants sont d’ailleurs tout à fait capables de faire la différence entre les parents et les grands-parents. Si les règles changent légèrement d’une maison à l’autre, ils sauront s’adapter. Je dirais même que c’est toute la richesse des grands-parents que de proposer un autre univers à l’enfant qui va pouvoir expérimenter d’autres relations sociales. Enfin, gardons en tête que les grands-parents ont un immense privilège, celui de ne pas être les premiers éducateurs de l’enfant. Leur rôle est unique : ils sont là avant tout pour lui apporter de l’amour, une oreille attentive et des moments de complicité. Alors il ne leur reste plus qu’à profiter de ce lien intergénérationnel unique.