« J’ai découvert l’aviron tout à fait par hasard, à l’âge de 14 ans, débute Bernard Gerbeau. Mon voisin était le président du club d’aviron de Marmande, une commune du Lot-et-Garonne dont je suis originaire ». À l’époque, Bernard pratique plutôt le ping-pong, comme Jean-Paul Boudeville, le doyen des pongistes français, mais il a déjà le goût du défi : il accepte donc de s’initier à cette nouvelle discipline sportive. « Finalement, j’y suis allé et j’y suis resté ! ». À l’âge de 19 ans, le jeune homme intègre une école de formation pour devenir pilote de l’Armée de l’Air. S’ensuivent une vie de famille bien remplie et une carrière professionnelle prenante qui l’éloignent de l’aviron pendant trente ans.
Créateur du premier programme Aviron Santé pour les maladies chroniques
Après plusieurs années ponctuées par une douzaine d’opérations chirurgicales, Bernard reprend l’aviron à l’âge de 52 ans. « Je me suis vite rendu compte que l’aviron avait des effets très positifs sur moi, explique le rameur. Mes chirurgiens étaient d’ailleurs très étonnés que je me remettre aussi vite après chacune de mes opérations ». Convaincu des bienfaits de l’aviron sur la santé, Bernard entreprend, une fois à la retraite, de concevoir un programme Aviron Santé inédit à destination des personnes ayant une maladie chronique (diabète, cancer, hypertension…), psychique, un handicap ou subissant les effets du vieillissement. « À l’époque apparaissaient les premiers programmes Aviron Santé, mais ils ciblaient tous une pathologie en particulier. Comme je refusais l’exclusion, j’ai voulu monter un programme s’adressant à tous ». Pour mener à bien son projet, Bernard, alors bénévole, doit devenir professionnel. Il retourne donc sur les bancs de l’école, à l’âge de 66 ans, pour obtenir son Certificat de Qualification Professionnelle Moniteur Aviron et suivre la formation Coach Aviron Santé. Après deux ans de travail et de persévérance, le programme voit enfin le jour et devient le plus grand programme Aviron Santé de France. « Aujourd’hui, je suis le référent Aviron Santé de la ligue régionale de la Nouvelle-Aquitaine, l’une des plus importantes en France ».
Le goût du défi
Un jour, un membre de son club lui propose de participer au tour du Lac Léman à l’aviron, la plus longue régate du monde sans escale en bassin fermé (160 km). « Au début, je suis resté un peu pantois, car je n’avais jamais parcouru cette distance à la rame, mais j’ai accepté, car je suis convaincu qu’il n’y a pas d’âge pour se lancer des challenges, explique le moniteur. Alors je me suis préparé pendant un an et j’ai réussi ! ». L’expérience est tellement palpitante que Bernard y retourne chaque année avec un nouvel équipage qu’il motive et entraîne pendant sept mois.
Au cours de sa première compétition, il fait la rencontre de Philippe Schucany, originaire de Neuchâtel, en Suisse, qu’il retrouve chaque année sur les bords du Lac Léman. « Il y a trois ans, Philippe m’appelle pour me dire qu’un skipper nantais, Philippe Berquin, cherche un coéquipier pour traverser l’Atlantique à la rame et qu’il doit le rencontrer bientôt », mais le Suisse n’est finalement pas retenu. « Philippe était très déçu… Alors comme j’aime relever de nouveaux défis, je lui ai dit : Tope là ! On va le faire ».
Quelques mois plus tard, Bernard et Philippe retournent à Nantes pour rencontrer le skipper qui vient de finir la traversée de l’océan Atlantique à la rame et obtenir des conseils. « Et là, j’ai réalisé que j’aurais 71 ans le jour du départ et ça me paraissait osé de faire la traversée à deux. S’il m’arrivait quelque chose, je ne voulais pas laisser quelqu’un tout seul avec le bateau. On a donc décidé qu’on le ferait à quatre, en ramant deux par deux pendant deux heures », explique le moniteur d’aviron. Philippe Berquin, tenté par cette nouvelle aventure, devient le troisième membre de l’équipage, tandis que Philippe Michel, originaire d’Annemasse, vient compléter l’équipe. « Philippe Michel m’avait hébergé chez lui lors de ma précédente compétition sur le Léman, explique Bernard. Certes, il n’avait jamais fait d’aviron de sa vie, mais c’était un cycliste expérimenté, très endurant, qui avait de belles valeurs humaines. En plus, c’était un cadre infirmier en psychiatrie à la retraite et ça, ça pouvait nous servir durant la traversée ».
Bernard et les trois Philippe – tous sexagénaires – suivent alors une préparation physique intense, composée de nombreux entrainements, d’un stage de voile pour s’amariner et d’un stage de survie en mer, ainsi qu’une préparation mentale, yoga pour les uns et sophrologie pour les autres. Pour Bernard, qui pratique régulièrement la méditation, « il faut se gonfler le cerveau comme on se gonfle les muscles ». En parallèle, l’équipage crée l’association de promotion et d’aide aux défis sportifs seniors Sportez vous bien, santé vous mieux pour recevoir les financements de leur sponsor et faire venir leur bateau, Jasmine, d’Angleterre. Enfin, une nutritionniste prépare les rations lyophilisées des quatre rameurs, en fonction de leur âge, de leur poids et de leurs besoins énergétiques. « Tous les gens qu’on rencontrait nous disaient qu’il allait nous falloir deux ans pour construire notre projet. Finalement, on a mis onze mois ! », annonce-t-il fièrement.
La traversée de l’Atlantique à la rame
Le mardi 10 décembre 2019, à midi pile, le bateau et son équipage quittent les îles Canaries, près de Las Palmas, direction la Martinique. Mais les premiers jours, les problèmes s’accumulent : les vents contraires, suivis de vagues déferlantes de six mètres, ralentissent l’avancée de Jasmine, le pilote automatique tombe en panne et un incendie se déclare à bord. « On a eu la chance de pouvoir l’éteindre rapidement, mais on a perdu beaucoup de matériel électronique. Plus aucune indication de navigation nous apparaissait sur le pont. On devait veiller le cap en permanence », explique Bernard.
L’instabilité et la petitesse du bateau (moins de 6 m² sur le pont) rendent également les conditions de vie à bord particulièrement difficiles. « Le bateau tanguait continuellement et ça nous posait problème pour ramer et se déplacer ». En effet, quand deux équipiers rament, les deux autres vaquent à leurs autres occupations : se reposer, manger, faire ses besoins ou sa lessive, envoyer un rapport journalier par téléphone GPS pour alimenter leur site Internet A l’Abord’Âge… « On se faisait tellement secouer… On a calculé qu’on mettait en moyenne 45 minutes pour écrire un court message et une heure pour manger, raconte Bernard. Je ne compte même plus le nombre de fois où on a renversé notre repas ! Heureusement, on était attaché ».
L’autre difficulté à bord, c’est la vie en communauté. « On se connaissait très peu finalement. On a échangé, à trois ou quatre reprises, quelques mots pas très gentils, mais on s’était dit que si ça devait arriver, il fallait en parler tout de suite et c’est ce qu’on a fait. On savait pertinemment que l’esprit d’équipe, le respect des autres, le dépassement et le don de soi étaient indispensables pour relever notre défi », poursuit le moniteur d’aviron. D’ailleurs, quand ils ont tous une baisse de régime, Bernard sait trouver les mots justes pour les remotiver. « Je rappelais régulièrement notre objectif : montrer que les seniors peuvent vivre leurs envies, leurs rêves, à partir du moment où ils se préparent. Et finalement, on ne s’est jamais arrêté ».
La découverte de la haute mer est également une expérience inédite pour les trois apprentis marins. « La mer, il n’y avait que Philippe Berquin qui la connaissait vraiment. Nous, on avait ramé sur l’eau, mais jamais en mer donc il a fallu l’apprivoiser, de jour comme de nuit, explique le moniteur d’aviron. On se sentait seul au monde. On ne croisait même pas de bateau. La journée, on entendait les cris de quelques oiseaux, on pouvait voir le déferlement impressionnant des vagues, mais la nuit, rien. On sentait juste une présence noire et forte qui n’était pas très rassurante.
Ramer de nuit reste pourtant l’un des meilleurs souvenirs de Bernard. « J’aimais barrer de nuit, car j’ai un brevet de navigation aérienne. Je sais donc me diriger grâce aux étoiles. En plus, c’est un environnement que je trouve magnifique. La lune, les étoiles… ça me fait partir très loin dans les réflexions ». Ces instants nocturnes lui permettent de faire une introspection libératrice. « Hormis les fruits et les légumes frais, il n’y a rien qui m’ait vraiment manqué pendant la traversée. Je me suis facilement détaché de notre société de consommation. Aujourd’hui, ce confinement [lié à la crise sanitaire du Covid-19], je le vis sans problème. Depuis mon retour, j’essaie d’aller vers plus de simplicité. On ne peut, certes, pas vivre en ascète, mais on peut faire attention à la manière dont on vit ». Le dixième jour de traversée de l’Atlantique à la rame, Jasmine est d’ailleurs rejoint par une bande de dauphins et les quatre rameurs réalisent que l’un d’eux a « un sachet plastique coincé dans son aileron. Et ça, ça nous a fait mal. On s’est rendu compte que la pollution de l’homme sur l’environnement pouvait faire de gros dégâts, même en haute mer ».
Un double record du monde
Au huitième jour, Bernard comprend que la traversée de l’Atlantique à la rame sera plus courte que prévue. « On pensait qu’on ferait 60 nautiques (111 km) par jour, mais finalement on en faisait près de 80 (148 km). Alors je leur ai dit : Les gars, on ne va pas mettre 50 jours, on va mettre 40 jours. Ils pensaient que c’était impossible, car personne n’avait encore réalisé la traversée de l’Atlantique à la rame en si peu de temps. Et tous les jours, je voyais qu’on engrangeait encore des nautiques qui n’étaient pas prévus, alors même que les conditions météorologiques ne nous étaient pas aussi favorables qu’attendues », explique-t-il. Et les prédictions de Bernard se confirment. Les quatre rameurs avancent tellement vite qu’ils sont contraints de s’arrêter pendant trois jours pour que leur famille ait le temps de rejoindre la Martinique.
Le 20 janvier 2020, après avoir franchi de nuit la passe du Loup-garou, l’équipage du Jasmine accoste au petit matin au ponton du Robert, une commune située dans l’archipel des Petites Antilles, et entre doublement dans l’Histoire – et le Guinness Book – en devenant « L’équipage le plus âgé à avoir traversé un océan » et « l’équipage ayant réalisé la plus rapide traversée de l’océan Atlantique à la rame sur ce parcours ». « Le record, c’est la cerise sur le gâteau, car on n’a vraiment rien fait pour le battre. On a même arrêté de ramer les trois derniers jours, s’amuse Bernard. Je suis encore très étonné quand les gens me disent que nous avons réalisé un exploit, car moi je n’y crois pas. On avait un objectif noble : on voulait montrer qu’on peut tous se dépasser à partir du moment où on s’y prépare et c’est ce qu’on a fait. On voulait montrer que l’âge n’est pas un critère déterminant ».
À leur arrivée, les quatre rameurs sont accueillis en grande pompe par leur famille, le maire et les locaux. « Après 39 jours en mer, sans voir personne, c’était un moment très émouvant », raconte Bernard. Les coéquipiers reçoivent ensuite la médaille d’honneur de la ville, au cours d’une réception organisée par la mairie. « On a ensuite été au restaurant avec nos familles. Elles étaient étonnées, car on n’avait pas l’air très fatigué et c’était vrai. Mais le soir, on s’est tous littéralement écroulé. Après la première soirée, je suis revenu à penser à mes nuits passées sur le bateau, à toutes mes introspections, et je me suis dit : Qu’est-ce qu’on était bien finalement ! », confie-t-il.
De nouveaux défis sportifs à relever !
Depuis son retour en France, Bernard fourmille de projets. Son association de promotion et d’aide aux défis sportifs Sportez vous bien, santé vous mieux accompagnera certainement un nouveau challenge de haut vol. Le recordman est également en train d’organiser, avec l’aide de la ligue Nouvelle-Aquitaine d’aviron, une régate inédite de 100 kilomètres autour du bassin d’Arcachon. Et en parallèle, il s’entraîne pour World Rowing Master Regatta, le championnat du Monde Masters 2022 organisée en 2022 à Libourne et qui verra s’affronter les meilleurs rameurs mondiaux seniors. « Ces projets sont significatifs pour moi, car iIs me permettent de poursuivre mon objectif : montrer que l’âge n’est pas un frein à la réalisation de ses rêves » conclut Bernard, avec le sourire.
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Je viens de lire ce récit avec beaucoup d’intérêt et je dis Respect Monsieur. Bravo pour ce challenge réussi.