« J’avais plein de projets, plein d’envies, mais rien ne se passe comme je le pensais. On ne se comprend plus. On ne se supporte plus ! ». Dans la vie d’un couple, le passage à la retraite peut être une période plutôt délicate. Traversée en eaux troubles normale et structurante ou fin d’une histoire, comment expliquer cette crise de la soixantaine ? Les explications de Véronique Cayado, Docteure en psychologie, spécialiste du vieillissement.
Le passage à la retraite est une transition majeure dans la vie
Il y a des étapes dans la vie qui nous questionnent davantage. Elles viennent bousculer les équilibres et les croyances que l’on avait pu se forger sur soi-même, sa vie de famille, son couple. Le passage à la retraite en est une.
Le passage à la retraite : un changement de statut social
Qui dit retraite, dit généralement fin de la vie professionnelle, même si certains seniors conservent un emploi. Or, le travail constitue une source importante de socialisation. C’est un puissant vecteur d’identité qui nous sert à nous définir socialement et personnellement. Alors entendons-nous bien, nous ne nous définissons pas que par notre rôle et notre statut professionnels. C’est d’autant moins vrai aujourd’hui où le plein-emploi n’est pas garanti et notamment en fin de carrière. Les trajectoires ne sont plus linéaires mais bien souvent « cabossées ». Elles comportent tout au moins des transitions et des changements de voies plus ou moins désirés.
Le passage à la retraite : un moment de transition
Cela étant dit, la retraite est un moment de transition important dans la vie. Même s’il est attendu, il peut déstabiliser. Se retrouver avec soi-même, son compagnon ou sa compagne, dans un espace partagé qu’il convient de se réapproprier à deux, n’a rien d’évident…
S’adapter à sa nouvelle vie peut demander un temps d’adaptation, déjà pour soi-même ! Sans compter que parfois des préoccupations refoulées peuvent ressurgir. Tous les ingrédients sont là, d’une certaine manière, pour la réapparition du refoulé. On a du temps. On traverse des changements identitaires profonds, qui s’enclenchent avec le changement de statut social et de rôle. En plus, le dernier cycle de la vie qui s’amorce et à quoi il convient de donner du sens… Ainsi, des choses que l’on pensait réglées peuvent nous revenir en pleine face, dans ce moment d’interrogation parsemé d’angoisses.
Et dans un couple, ce sont deux individualités qui vont vivre ces changements à leur manière, pas forcément au même moment. Deux individualités et un « nous » qui peut s’étioler, voire se déchirer et exploser.
Toi, moi et nous… « nous » pour moi et « nous » pour toi
Le passage à la retraite implique de vivre, soi-même, des moments de questionnement, de doute, d’angoisse. Le vivre avec un compagnon ou une compagne, qui peut rencontrer ces mêmes réflexions, forcément, ça peut générer des tensions ou des incompréhensions. Elles vont parfois porter sur la nature et la poursuite de la relation.
Un écosystème à réinventer
Une vie de couple, c’est un peu comme la vie d’un écosystème. Si l’on modifie un élément de ce système, on modifie l’équilibre global. Et la retraite implique généralement de nombreux changements dans la vie de couple. Ne serait-ce que par le face-à-face que cela introduit. Il peut y avoir comme un rapport de force dans la redéfinition des territoires, des rôles et le partage des espaces. Cela se produit surtout si l’un des partenaires décompense au sein de son couple la perte de son statut professionnel. On ne se défait pas du jour au lendemain de comportements devenus « réflexes ». Cela prend d’autant plus de temps lorsque le travail était une source importante de valorisation de soi.
Une séparation parfois nécessaire
Comme dans tout système, les changements peuvent être absorbés jusqu’à un certain point. Lorsque cette ligne est franchie, les ajustements sont trop coûteux socialement, psychologiquement. Parfois, le fait de se sentir libéré des contraintes sociales avec la retraite fait que l’on n’admet plus aucun compromis. Et si son propre désir résiste à l’autre, si les projets, les rêves et les envies des uns et des autres ne sont pas conciliables, la réalité d’un « nous » qui n’est plus, fait alors son œuvre. Et que l’on ait 30, 40, 50 ou 60 ans, cela ne change pas beaucoup. C’est la rupture et la séparation !
Surtout que maintenant on veut la vivre cette étape de la vie, et on a les moyens de la vivre bien autrement que nos aînés. Augmentation de l’espérance de vie, indépendance financière des femmes…
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« Vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel »
Si le passage à la retraite constitue un moment charnière, c’est qu’il s’agit d’une transition particulièrement importante avec de nouveaux rôles sociaux qui sont expérimentés et des renégociations identitaires qui se jouent. Comme c’est aussi le cas au moment du départ des enfants du domicile, qui est un autre moment rupteur dans la vie d’un couple.
Désormais les conditions sociales et culturelles d’existence n’empêchent plus que la séparation se fasse. On assiste ainsi à une augmentation du nombre de divorces vers 60 ans, mais aussi de remariages, et plus surprenant encore, de séparations qui se font sur le tard dans le grand âge.
Néanmoins, malgré ces évolutions notables, vieillir ensemble reste encore la norme. Et malgré les crises que peuvent vivre bien des couples au début de leur retraite, la séparation dépasse encore rarement le stade du fantasme.
Fantasme de libération où l’autre peut être perçu comme l’obstacle à la réalisation de soi, fantasme d’autosuffisance et d’affirmation de la toute puissance de son désir… « Vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel » disaient les psychanalystes Caillot et Decherf. L’ambivalence de nos sentiments fait que, par nature, on est tiraillé entre des désirs contraires ! Le lien à l’autre n’est que paradoxe d’une certaine manière, fait d’amour et de haine, de fusion et de rejet. Le couple n’échappe donc pas à cette réalité, avec parfois cette envie de se dégager du poids du lien qui prend le pas sur le reste, mais sans être assez fort pour que cela se traduise dans les actes. Car finalement, nous avons besoin de croire en l’altérité profonde qui nous lie à l’autre et qui nous donne le sentiment d’être, d’exister tout simplement.