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Perdre son enfant quand on est senior : et si on en parlait ?

— Publié le 6 novembre 2024

Perdre son enfant quand on est senior : et si on en parlait ?

Perdre un enfant est sans doute l’épreuve la plus douloureuse qu’un parent puisse traverser. Lorsque ce tragique événement touche une personne âgée, la souffrance peut-être d’autant plus intense, mêlée aux réalités du vieillissement et à la perte de repère. Découvrons ensemble l’analyse de Véronique Cayado, Docteure en psychologie, spécialiste du vieillissement.

Perdre un enfant dans le vieil âge, un impensé sociétal

D’après une étude américaine[1], environ 7 % des adultes de plus de 90 ans auraient perdu un enfant après leurs 50 ans. Ce chiffre loin d’être anecdotique, le sera d’autant moins à l’avenir avec l’augmentation exponentielle des plus âgés dans la société.

La perte d’un enfant reste un sujet dont on parle peu. Il est alors difficile pour les parents endeuillés de trouver des espaces d’écoute adaptés à leurs besoins. Véronique Cayado, Docteure en psychologie, évoque un non-dit : « La perte d’un enfant des suites d’une maladie ou d’un accident fait partie de ces drames intimes auxquels on préfère ne pas penser. On mesure combien ces morts sont particulièrement injustes, profondément déchirantes pour les parents et la famille proche. L’intensité de la douleur fait que bien souvent on va rester à distance des personnes endeuillées. Pour partie, il s’agit de tenir la douleur et l’angoisse à distance de soi. Mais bien souvent, c’est parce qu’on se sent impuissant. Dans une société qui a délaissé ses rituels funéraires, on peut vite se sentir démuni, ne sachant pas quel comportement adopter, ne trouvant pas les mots pour tenter de réconforter une douleur que l’on mesure immense. »

Si la perte d’un enfant est un sujet que l’on préfère tenir à distance, la perte d’un enfant alors que l’on est soi-même dans le grand âge semble être tabou. Comme s’il n’y avait pas matière à se préoccuper des survivants. Comme si la mort était à ce point normal dans le vieil âge, que la mort d’un enfant pouvait relever d’un deuil de plus.  Or, le deuil d’un enfant n’est jamais un deuil comme les autres, quel que soit l’âge où on le perd, et si tant est qu’il puisse exister des deuils comme les autres. Au-delà de la douleur de la perte de l’être aimé, cette situation confronte les parents seniors à un sentiment d’injustice ou de culpabilité. C’est la fameuse culpabilité du survivant : pourquoi n’ai-je pas pu prendre la place de mon enfant ? pourquoi ai-je vécu plus longtemps qu’il ne vivra jamais ?

Pour Véronique Cayado, ce sentiment d’injustice est peut-être encore plus fort quand on est âgé. « À 80 ou 90 ans, on sait bien qu’on n’est pas immortel. Quels que soient les sentiments que cela génère en nous, notre mort prochaine est de l’ordre du compréhensible. Dans ce contexte, la mort de son enfant a cela de particulièrement injuste qu’elle arrive à un moment où notre mort était, elle, dans l’ordre des choses. »

Le processus de deuil d’un enfant adulte 

Le deuil est une chose personnelle, propre à chacun. Chaque parent vit son deuil différemment selon sa relation avec l’enfant disparu ainsi que les circonstances du décès. Dans tous les cas, apprendre à vivre avec l’absence d’un enfant adulte est un cheminement psychologique qui prend du temps, qui bien souvent reste une acceptation impossible.  Au-delà du processus de deuil, le décès de son enfant peut aussi avoir des conséquences concrètes : se retrouver privée d’un de ses seuls points d’ancrage avec la communauté, d’autant plus quand il s’agit de son enfant unique. L’isolement dans ce cas est un risque majeur. Le sentiment d’attache peut alors disparaître à jamais, avec l’impression de ne plus « compter pour » personne et de ne plus pouvoir  « compter sur » quelqu’un.

Pour les personnes en perte d’autonomie, le décès de l’enfant représente souvent le décès de l’aidant. Nombreux sont en effet les sexagénaires qui prennent soin d’un parent octogénaire ou nonagénaire. C’est la fameuse génération pivot qui assure un soutien à la fois à ses descendants et ses ascendants. Avec l’allongement de l’espérance de vie, ce rôle d’aidant se fera de plus en plus âgé.  Quand on sait qu’un aidant sur trois décède avant le proche aidé, on imagine bien que plus le l’aidant avance en âge, plus le risque de mortalité augmente. Le risque est bien réel, et pour le parent âgé, cette perte constitue alors une rupture dans le parcours de vie, avec souvent un déménagement en urgence dans un établissement spécialisé.

Se reconstruire et vivre avec la perte d’un être cher

Si l’on emploie souvent l’expression « faire son deuil », celle-ci est parfois très éloignée du réel. Ainsi, le deuil n’est pas forcément un processus avec un début et une fin, il reste souvent inachevé. En effet, en réalité, il ne s’agit pas d’oublier, mais de réapprendre à vivre autrement, avec cette absence. Comment trouver la force de continuer à vivre après une perte aussi douloureuse que celle d’un enfant ? Comment réapprendre à vivre autrement passé un certain âge ?

À un âge avancé, la perte d’un enfant est une épreuve d’autant plus dévastatrice que la personne se trouve déjà dans un état de fragilité physique et/ou psychique. La solitude, souvent présente à ce stade de la vie, peut exacerber le sentiment de vide laissé par l’enfant disparu. Le deuil peut prendre une ampleur écrasante, rendant la reconstruction plus difficile.

Pour Véronique Cayado : «On imagine plus facile de se reconstruire quand on a 60 ans plutôt que 90 ans. D’une certaine manière, cela est vrai car notre résistance est moindre dans le grand âge, notre système immunitaire plus vulnérable au stress. Néanmoins, ce n’est pas une question d’âge ou de temps qui reste à vivre. Il y a une forme d’acceptation de continuer à vivre ou à survivre à son enfant, qui passe forcément par le fait d’avoir une raison de vivre. C’est souvent les autres qui nous tiennent debout durant les moments les plus éprouvants, pour eux ou grâce à eux qu’on évite de sombrer. Quand on se sent prêt à s’occuper de soi, il peut être bénéfique de partager son expérience avec d’autres personnes qui sont passées par là. Il existe maintenant des espaces de parole de ce type, comme l’association Happy End. Cela ne conviendra pas à tous, c’est certain, mais cela peut faire du bien à beaucoup.»

Le décès d’un enfant n’est pas plus ou moins facile dans le vieil âge. Il importe de le reconnaître et de donner à la personne la possibilité de lui laisser la place qui lui convient dans sa vie. Pour Véronique Cayado, il est important de ne pas se cacher derrière les mots de « deuils pathologiques », comme s’il y avait une bonne manière de réagir à ces épreuves. Quand bien même il nous semblerait qu’un comportement soit anormal, par exemple des pleurs qui s’éternisent plusieurs années après le décès de l’enfant, plutôt que se dire que ce comportement n’est pas adapté, essayons plutôt de nous dire qu’il est adapté au besoin de la personne, et qu’en nous partageant ses pleurs elle se soigne d’une indicible douleur.


[1] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10882903/#CR1

Lara de la Silver Alliance

Lara de la Silver Alliance

Chaque mois, je vous propose des articles et conseils pratiques pour simplifier votre vie. Que ce soit sur le sport, la santé, l'actualité ou les loisirs, découvrez des astuces utiles qui vous accompagneront au quotidien.

Véronique Cayado

Véronique Cayado

Responsable d'études à l’Institut Oui Care sur les enjeux du bien vieillir et Docteure en psychologie, elle est l'auteure du livre "Tu comprendras quand tu seras vieux. Petit manuel anti-préjugés grand âge".

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